Coin lecture de Jeunes Influenceurs: La Dernière Nuit de Cincinnatus Leconte de Michel Soukar

 Autant une caméra peut servir à capturer éternellement l’instant présent, autant un livre peut aider à immortaliser le quotidien, les mœurs, les idéologies qui ont occupé la scène politique et sociale d’une époque. De plus, le livre fournit tous les indices nécessaires pour faciliter l’immersion totale du lecteur. Cela dit, dans la rubrique « Coin Lecture de JEUNES INFLUENCEURS » du jour, nous allons explorer, en grande partie subjectivement, l’une des œuvres extraordinaires qui enrichissent la littérature haïtienne, à savoir La Dernière Nuit de Cincinnatus Leconte, qui s’est matérialisée sous la plume magique de Michel Soukar.




La Dernière Nuit de Cincinnatus Leconte se révèle un chef-d'œuvre par sa dimension sociologique. Ce qui, d’ailleurs, rend difficile l’acceptation du fait qu’elle puisse contenir un certain nombre de fictions. Elle est empreinte des bribes du quotidien haïtien, que ce soit dans la vie politique ou dans la vie sociale. Cependant, ce qui la démarque davantage d’une quantité d’œuvres romanesques haïtiennes est sa façon d’inclure la question de genre, plus précisément sa façon de présenter l’influence ou le rapport de pouvoir existant entre le masculin et le féminin. Cela dit, dans les lignes qui suivent, nous allons aborder les trois points qui nous semblent les plus culminants à travers le roman, à savoir la vie politique, la vie sociale et particulièrement la question de genre.





Avant tout, il est essentiel de présenter un petit résumé de l’œuvre. La Dernière Nuit de Cincinnatus Leconte est un roman historique qui dévoile une quantité d’indices authentiques ou non, sur les circonstances entourant la mort du Président Cincinnatus Leconte, ce dernier ayant connu une mort tragique au sein du Palais National que l’on a fait sauter, dans la nuit du 8 au 9 août 1912. Dans le livre, on présente une image assez paradoxale du Président défunt. Dans un premier temps, précisément en novembre 1904, il est cité parmi les condamnés du procès des contumaces pour corruption. Dans un second temps, précisément en août 1911, il rejoint la liste des Présidents haïtiens, soit 7 ans après le procès, un fait qui suscite de nombreuses interrogations quand on analyse les conditions requises pour devenir Chef d’État. Mais au regard du nombre de condamnés pour corruption ayant occupé des postes de choix dans l’administration publique, on préfère taire ce débat dans cet article. Passons aux points culminants du roman…



D’abord, il est à noter que la vie politique de l’époque n’a jamais été tout à fait différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. Il a toujours été question de luttes acharnées pour le pouvoir, de persécutions politiques, de crimes et de complots politiques, de concurrences déloyales, entre autres. En somme, nous n’avons en rien progressé politiquement, sinon le fait d’utiliser les nouvelles technologies pour répéter l’histoire. Dans le livre, on présente Leconte comme étant un homme politique qui s’est égaré dans un premier temps en s’adonnant à des pratiques illicites et condamnables au sein de l’administration publique, ce qui ternira son image et celle de sa famille. Blessé dans son orgueil, il a fait tout son possible pour reprendre le pouvoir et rétablir sa réputation d’homme politique honnête et soucieux du sort du peuple. Cependant, il semblait oublier les machinations que ses adversaires politiques pouvaient mettre en place pour l’éliminer et prendre sa place. Donc ici, on peut remarquer une description fidèle de la réalité politique du pays, à savoir un jeu incessant de « ôte-toi de là que je m’y mette ».



Ensuite, en s’accentuant sur la vie sociale, on remarque d’abord cette hypocrisie à l’égard du vodou haïtien. Comme quoi les gens sont chrétiens le jour et vodouisants la nuit. La plupart des romans haïtiens détiennent au moins une séquence du vodou. Ce dernier semble donc imprégner la culture haïtienne. Mis à part ce point, Michel Soukar a également pris le soin d’y attacher des bribes de la réalité quotidienne des différentes couches de la société. Il est impossible de lire deux pages sans trouver un fait, une pratique, une idéologie que l’on côtoie plus ou moins fréquemment dans son environnement ou ailleurs. Que ce soit la familiarité particulière des Haïtiens, incluant leur forte incrustation dans les affaires d’autrui, que ce soit leur manière d’associer toute mort subite au surnaturel, ce qui donne un rôle prépondérant à une divinité vodouesque dans le roman, Michel Soukar a pris le soin de ne rien omettre.

Enfin, en parlant de la question de genre, on ne peut manquer de souligner la place de choix qu’a occupée Reine-Joséphine Leconte, l’épouse de Cincinnatus Leconte, dans la vie de ce dernier. Dans le roman, Reine est présentée comme étant le cerveau du foyer. C’est elle qui dicte les actions de son mari. D’ailleurs, dans une séquence du roman, un personnage affirme : « Si j’avais une femme comme elle, Satan ne me ferait pas peur. » C’était une femme de caractère, qui semblait détenir davantage de culot que son mari. Ce qui capte, c’est le rôle des femmes en général à l’époque. C’est le fait qu’elles n’avaient nullement le droit d’exercer un quelconque pouvoir au sein d’une administration, d’occuper un poste de décision. Elles étaient les soumises, celles que l’on utilisait pour répondre ou encore matérialiser le dessein des hommes. Ce que Michel Soukar n’a pas tout à fait négligé, quand on considère le rôle qu’a joué la Syrienne dans le roman. Par contre, Reine ne se laissait nullement limiter ou manipuler. Elle usait de ses atouts féminins, de sa force féline pour dominer son mari et, par la même occasion, l’administration publique. Son influence sur lui dépassait l’entendement, au regard de l’époque. En plus d’être sa complice, elle était également son cerveau. Ce qui porte à se demander combien de femmes ont joué ce rôle dans la vie des hommes haïtiens, bien avant de gagner le droit de diriger directement.



Tout bien considéré, La Dernière Nuit de Cincinnatus Leconte est un roman qui offre une vue d’ensemble sur la vie politique, sociale et la place des femmes dans la société de l’époque. Entre réalité et fiction, on ne remarque qu’un mince fil. D’ailleurs, la différence n’est même pas évidente pour quelqu’un qui n’a pas vécu l’époque et qui ignore tout de l’histoire. Le travail de cohérence est remarquable. Mais surtout, il y a ce suspense qui persiste tout au long de l’intrigue et qui tient le lecteur en haleine…

Auteure : Beth-Sarah NICOLAS

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