À une époque où l’asymétrie de pouvoir s’insère partout et influence tout type de relations, les relations sexuelles tiennent parfois lieu de monnaie d’échange implicite ou explicite. Cette réalité que nous nommons «dette sexuelle» s'établit dans les rapports de domination et d’inégalité où une personne se sent contrainte d'offrir du sexe en contrepartie d'un service quelconque. Quoiqu'elle puisse sembler anodine, cette situation se base sur des mécanismes de pouvoir et d'oppression.
Comprendre la dette sexuelle
La journaliste Camille Vernin dans l’article : «C’est quoi la dette sexuelle? » paru dans le magazine Elle, définit la dette sexuelle comme le fait de se sentir redevable sexuellement vis-à-vis de l’autre. Elle se caractérise par une impression de devoir des échanges intimes après des services rendus. Elle concerne autant les hommes que les femmes quoique ce sentiment se retrouve plus souvent chez les femmes que chez les hommes. Cette sensation de redevance naît de services rendus et est exacerbée par les relations de pouvoir. Elle peut être créée soit par une pression externe soit par une faiblesse émotionnelle de la victime.
Contextualisation
La dette sexuelle peut apparaître sous plusieurs formes et dans diverses situations. Elle intervient dans la sphère professionnelle, conjugale, amicale et même dans les relations d'aide et de soutien.
D’une personne ayant reçu d'une autre des services, tels : un hébergement, une offre d'emploi, un prêt; ayant partagé avec eux un verre, une danse, un moment d'intimité, certaines personnes ont tendance à attendre une relation sexuelle en rétribution.
De même, par rapport à une personne leur ayant offert un verre, un prêt, un emploi, une épaule dans un moment difficile, ayant partagé avec elle un moment d'intimité, certaines personnes ont tendance à se sentir redevables.
Impact sur les victimes
La dette sexuelle est un processus psychologique complexe qui peut entraîner des conséquences désastreuses sur le développement psychologique, émotionnel et social de la personne victime.
Conséquences psychologiques et émotionnelles
La victime peut subir un traumatisme dû à un sentiment d'humiliation et de honte qui débouchera éventuellement sur des troubles post-traumatiques.
Elle peut se sentir réduite à l’état d'objet
Elle peut se sentir coincée ou vivant sous pression, ce qui peut aboutir à des troubles mentaux graves.
Conséquences sociales
Par peur du jugement, la victime peut éviter de parler de sa situation.
Elle peut dans les cas où sa situation est rendue publique, être mise au bas de la société ou marginalisée dans les communautés auxquelles elle appartient.
Outre les séquelles précitées en lien avec avec le développement psychosocial de l'individu, il y a dans certains cas de possibles répercussions sur la situation économique et juridique de la personne victime.
Conséquences économiques
Souvent dans ces situations la victime se retrouve dans un piège de dépendance économique vis vis de son agresseur
Elle peut abandonner ou être contrainte d'abandonner ses études, emplois et autres opportunités liées à sa carrière en raison de la pression et de l'exploitation.
Conséquences juridiques
Dans certains contextes , la victime peut être perçue comme coupable.
Les responsables, dans bien des cas ne sont pas tenus de répondre de leurs actes en l'absence de mécanismes de protection.
La honte et le silence, des armes de contrôle
Chez la victime
Le silence, souvent occasionné par la honte, renforce le cycle de la violence. La victime peut se sentir responsable de ce qui lui arrive et cette culpabilité, en réalité inculquée par les auteurs des actes nourrit un cycle de silence.
Le silence peut aussi être un mécanisme de survie face à de potentielles menaces.
La honte, en détériorant l'estime de la victime la rend plus vulnérable et moins apte à chercher de l'aide.
Dans la société
Les normes sociales et patriarcales contribuent à accentuer le sentiment de honte chez la victime arguant que les abus auraient pu être stoppés par la victime si elle le désirait.
La sexualité ainsi que les abus sexuels constitue un tabou dans beaucoup de sociétés. Cela empêche les discussions et la sensibilisation collective.
Il y a très peu de statistiques sur la dette sexuelle, ce qui rend difficile la mobilisation pour des politiques de protection.
Un phénomène enraciné dans le patriarcat
Le patriarcat et la dette sexuelle sont intimement liés en ce qu'il pose les bases socioculturelles qui permettent à des dynamiques tels la dette sexuelle d'exister et de croître.
Le patriarcat est selon Sylvia Walby un système social qui structure les relations de pouvoir entre les deux sexes. Ce système intervient tant dans la sphère privée que dans la sphère publique. Il suppose la domination des hommes et la subordination des femmes. Le patriarcat impose des règles de genre qui valorisent les hommes et leurs désirs et réduisent les femmes à des fins utilitaires particulièrement dans la sexualité. Il encourage une culture qui invisibilise les abus de pouvoir notamment dans la sphère sexuelle. Cela laisse place à une compréhension manipulée du consentement.
Le patriarcat agit non seulement comme catalyseur mais aussi comme cause de la dette sexuelle. Il soutient les inégalités entre les sexes, encourage le silence, culpabilise les victimes et laisse les impunis auteurs des abus.
Comment prévenir et combattre la dette sexuelle
Bien que ce soit un mécanisme bien ancré dans les fondements du patriarcat et des relations humaines régulées par les normes de pouvoirs, la dette sexuelle n'est pas pour autant un mal incurable. L'une des façons les plus efficaces de le combattre est de renverser ses fondements et les dispositifs sur lesquels il se repose.
Le patriarcat marche de pair avec la dette sexuelle. Faire tomber ses fondements et promouvoir une culture d’égalité de genre où le consentement et la sexualité des femmes sont respectés, est un moyen prépondérant pour lutter contre la dette sexuelle.
- Éduquer les communautés sur les droits des femmes et les processus d'exploitation sexuelle
- Appuyer l' accès des femmes et des filles à l’éducation, à l'emploi et aux ressources économiques dans le but de réduire la dépendance économique.
- Mettre en place des lois et des mécanismes de coercition pour punir les abus de pouvoir et protéger les victimes.
- Installer des espaces où les victimes peuvent être écoutées sans se sentir jugées où mises l’écart.
Ce sont autant de mesures qui peuvent servir à éliminer la dette sexuelle.
La dette sexuelle est une réalité qui fait des ravages psychologiques et émotionnels chez ceux.celles qui la subissent . Elle est renforcée par sa banalisation dans la société. Elle ne représente pas un simple échange mais une forme de coercition qui s'inscrit dans les codes d'une société réglementée par les relations de pouvoir, d'oppression et de domination. Il est essentiel de la combattre en brisant le silence et la honte qui l'entourent et de promouvoir une culture ou le consentement est libre, éclairé et jamais influencé par une dette.
Le combat contre la dette sexuelle est un combat féministe mais aussi un combat pour une société égalitaire et juste.
Auteure : Néhémie Lamarre
Sources : C’est quoi la dette sexuelle ?
par Camille Vernin
Publié le : 11/05/2023 sur Elle
«Dette de sexe»: pourquoi les femmes se sentent parfois obligées d'accepter des rapports non désirés?
Myrian Carbajal, Annamaria Colombo – 14 octobre 2020 à 13h05
2 Commentaires
C'est un très bel article ! Je pense qu'il devrait être lu par un nombre considérable de personnes.
RépondreSupprimerUn texte très bien écrit, clair et adapté à tout type de public, très bon choix face à cette problématique qui fait rage dans le pays.
RépondreSupprimerContinue sur cette lancée.