« Il s'agit de la seule femme noire suffisamment folle pour se présenter à la présidence des États-unis. »
Connaissez-vous Shirley Chisholm ? Cette femme noire à avoir bousculé la première, les frontières du sexisme et du racisme dans le milieu politique américain. Venez donc vous plongez dans une brève réflexion sur le film Shirley qui illustre le souffle d'espoir qu'a été son parcours politique.
Le film Shirley, réalisé par John Ridley, sorti en 2024, a été inspiré de la vie politique d'une femme qui n'a pas attendu qu'on lui donne une place à la table mais qui a eu l'audace d'apporter sa chaise pliante, comme elle l'a dit elle-même. En effet, Shirley Anita St. Hill Chisholm a marqué l'histoire à deux reprises ; en 1968, elle devient la première femme noire élue au Congrès américain et en 1972, à l'investiture présidentielle du parti démocrate américain. À travers le film Shirley, Regina king, qui incarnait le personnage Shirley, a su nous plonger dans une période de la vie de cette dernière, précisément au cours de la campagne présidentielle de 1972 des États-unis. Elle a pu nous faire ressentir les émotions, explorer les contraintes, saisir les enjeux qu'ont engendré son acte d'audace. Cela dit, quels sont les éléments que l'on pourrait tirer de ce film ? Quelles critiques pourrait-on y apporter ? À noter que ce film offre mille et une pistes de réflexion. D'abord, analysons la réception et les contraintes de la candidature de Shirley (Regina King) et ensuite, tentons d'explorer quelques questionnements suscités par le film, à travers le personnage Shirley et son mari.
1. Réception et contraintes de la candidature de Shirley
Une femme candidate à la présidence des États-unis ? Noire en plus ? En 1972 ? L' aberration du siècle ! La candidature de Shirley a fait l'objet de nombreux sarcasmes. À une époque où les Femmes ne pouvaient qu'épauler leurs hommes et les Noirs, que ramasser les miettes des Blancs, une Femme Noire candidate à la présidence, était tout simplement inconcevable. Shirley s'est heurtée au rejet de sa propre sœur, à l'orgueil masculin de son mari et à l'ironie du milieu politique américain.
La sœur de Shirley a incarné ces femmes qui n'osent pas se voir plus loin qu'au foyer. De ces femmes à qui on a enseigné la résignation, l'acceptation de la condition d'infériorité, et surtout, la manie de voir comme des idéalistes, des prétentieuses, des dérangées, des entraves, celles qui osent avoir un rêve de grandeur. Dès les premières minutes du film, on constate un certain mépris de son côté, à l'égard de Shirley. Elle la voit comme une égoïste, qui ne se soucie guère du mal que sa candidature fait à sa famille, des railleries dont elles, la mère et la sœur, font l'objet. Mais on remarque également une certaine jalousie. Ses propos insinuent que Shirley a été la fille la plus choyée de papa et surtout, celle qui a bénéficié d'une éducation supérieure. Celle qui a été " spéciale ". Le refus catégorique de soutien de la part de sa sœur a été l'une des plus éprouvantes réalités auxquelles Shirley a dû faire face. Cela aurait pu compromettre sa candidature à différents niveaux que nous nous retiendrons de citer.
Le mari de Shirley, bien qu'étant au début l'image du mari aimant, patient, qui soutient sa femme ardemment, a fini par craquer. Au début du film, on pouvait lire une certaine fierté sur son visage, au moment de la photo du Congrès américain. Cependant, quand Shirley lui a demandé son avis au sujet de sa candidature à la présidence, bien que sa décision avait déjà été prise, annoncée et discutée avec ses plus proches collaborateurs, on constate une certaine frustration. Il était manifestement dérangé du fait de n'avoir pas été consulté d'avance et surtout influencé la décision de sa femme. D'une certaine façon, elle lui échappait. Cela pourrait donc être considéré comme le début de la fin de leur mariage.
Le milieu politique américain, de son côté, a d'abord minimisé la candidature de Shirley. Cette dernière a fait face à nombre de sarcasmes, de propos frustrants, empreints de misogynie. Ce qui montre en quelque sorte l'importance moindre que l'on accordait aux femmes noires. Ensuite, quand on a remarqué que Shirley devenait de plus en plus populaire, on a eu recours à toutes sortes d'intimidation pour freiner son élan. Par-là, on peut en déduire que le milieu politique américain est un terrain glissant où seuls les intérêts importent. Les opposants sont prêts à tout pour écarter l'adversaire. Toutefois, il importe de souligner qu'il a été beaucoup plus difficile pour Shirley car elle était seule. Seule envers et contre tous. Seule à croire ardemment à son rêve et assez forte pour inciter de temps à autre les autres à partager ce dernier.
2. Questionnements suscités par le film Shirley
Le film Shirley est sans conteste l'un des meilleurs films à réhabiliter la valeur des personnalités historiques noires. John Ridley a su réunir les ressources humaines et matérielles nécessaires pour en faire un produit exceptionnel. Cependant, il est nécessaire de s'accentuer un peu sur l'absence de position ouverte de Shirley et le rôle un peu trop passif du mari de celle-ci.
Si l'on s'en tient au film, Shirley n'a été ni la candidate des Noirs, ni celle des Femmes. Ce qui nous porte à nous demander si c'était juste une forme d'humanisme ou juste une politique pour arriver au pouvoir. Il importe de se demander si cela n'aurait pas pu être autrement si elle avait une idéologie précise, si elle avait pris parti. Dans le film, on la présente certes comme une femme empathique, avec une sensibilité excessive et d'une bonté angélique mais n'est-ce pas un peu contradictoire quand on analyse sa force de caractère ? Par moments, elle a quand même dû blesser certains pour le bonheur de quelques autres. Et plus loin, elle a même sacrifié son mariage pour sa carrière politique. Quel message pourrait-on en tirer ? Aussi, comment expliquer son refus de prendre parti pour les Noirs ? Ou encore pour les Femmes ? Était-ce une façon de montrer que le fait de ne pas prendre parti démontre qu'il n'existe aucune différence entre Noirs et Blancs, Hommes et Femmes ? Ou du moins, sa décision a été influencée par son éducation, sa classe, son rang ?
Quant à son mari, il est à souligner qu'il a incarné un personnage assez insignifiant. Bien qu'ayant été celui qui épaule, qui prend soin de la maison et qui supporte les états d'âme de Shirley. Et justement, ici, on remarque une touche d'ironie. Si l'on tentait d'inverser les rôles, on pourrait voir que c'est exactement le rôle normal accordé aux femmes de l'époque. Le réalisateur cherchait-il par là à critiquer le patriarcat par ce jeu de rôles ? À montrer, par la frustration que cela a fini par engendrer chez le mari, celle que les femmes ont souvent refoulée ? Ou du moins, c'était véritablement ce rôle de seconde classe qu'a joué le mari dans la vie de sa femme ? Dans ce cas, ne pourrait-on pas y déceler une certaine injustice de Shirley a l'égard de son mari ? Un complexe de supériorité ? Ce que l'on reproche souvent aux femmes indépendantes.
En somme, le film Shirley est un puits de réflexion sur la politique, les Femmes noires face à la politique, les relations de pouvoir entre Hommes et Femmes, entre autres. C'est l'histoire d'une vie de résistance. La résistance face à la résignation qu'impose son statut de femme, noire. La résistance face aux intimidations, aux sacrifices consentis pour avoir osé rêver grand. C'est également une histoire remplie de contradictions. C'est un film à voir, une femme à découvrir et un espoir à réanimer.
J'ai eu l'opportunité de regarder ce film en compagnie d'une vingtaine de jeunes femmes, dans le Ciné Nègès organisé par Nègès mawon, en prélude à la 8ème édition du Festival féministe Nègès mawon qui se tiendra cette année autour du thème " Pouvwa ". Ça a été un moment rempli d'émotions. J'en profite pour saluer cette initiative combien louable, d'instruire nos féministes, de les faire découvrir des figures féminines qui ont mené un combat idéologique, centré, dans la discipline. Des figures qui savaient penser. Une pensée logique et structurée. J'espère que le Festival sera des plus enrichissants et mémorables.
Rédactrice : Beth-Sarah NICOLAS
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