Un quotidien fait de mots et de morts en Haïti

 

Souvent, certaines choses nous arrivent au moment le moins inopportun. Elles deviennent incontournables dans notre vie quotidienne. En d’autres mots, nous ne pouvons plus nous en passer. Pour certains, c’est le hasard, mais pour moi, il n'existe pas. Pour Mohammed Mbougar Sarr : « Le hasard n'est qu'un destin qu'on ignore, un destin écrit à l'encre invisible. » J'ai commencé à lire de très tôt, ma sœur qui avait la fâcheuse tendance de rentrer à la maison avec des Harlequins. Et depuis, je ne m’en lasse plus. Je fréquente les bibliothèques et je participe aux activités littéraires. Je me rappelle de la première fois où j'ai rencontré Lyonel Trouillot, j'ai lu tous ses livres avec un grand plaisir. Il a une façon d'écrire qui lui est unique. Son amour pour Jacques Stephen Alexis, son patriotisme...

En fréquentant la bibliothèque municipale de Delmas, j'ai rencontré une fille, du nom de Nephtalie. Elle a l’esprit ouvert, elle aime discuter de tout, comme : Des peintres primitifs, Ludovic Lamotte, Carmen Brouard, le Marxisme, le Dada, la physique quantique, la politique, la négritude, le féministe, du nazisme, de la révolution, de la réforme, de la littérature autobiographique, des civilisations Méso-Amériques. Il n’y a pas une seule chose dont elle n'est pas au courant mais son amour pour la poésie est sans appel. Elle peut passer des heures à te parler de Carl Brouard ou de Magloire Saint-Aude. Que le grand Carl a tout abandonné pour vivre son rêve pleinement. Que Basho dormait sous un bananier durant son long déplacement et que voyager n'est pas une question d'argent mais de courage.

Je suis fier d'être Haïtien. Ils veulent nous faire croire que nous ne sommes que des descendants d'esclaves mais c'est faux. Nous sommes descendants des rois et des reines. Rafraichissons leurs mémoires, Nous sommes la première République noire qui s’est rebellée et a dit NON A L’ESCLAVAGE, et qui a affirmé que tous les hommes sont nés libres et égaux.

 Étiez-vous au courant que le one-man show est dérivé de la forme littéraire lodyans ?

 Lodyans est un genre romanesque qui a vu le jour en Haïti, en effet, il n'y a pas encore eu une recherche approfondie sur ce mouvement mais, Maurice Sixto, est le lodyanseur le plus connu. Ce sont les idées de Jean Price Mars qui ont inspiré aux jeunes Césaire et Senghor le mouvement littéraire négritude ?

 Mais nous ignorons ces choses-là, ils se sont servis du brainwashing, depuis 1503. C’est encore le cas aujourd’hui afin de nous pousser à ignorer ces choses, notre fierté. C'est pour cela qu'il est facile de nous dénigrer et très difficile de dire des choses positives à notre égard. 

Toujours les mêmes problèmes, cette chaleur étouffante, cette misère assidue et le kidnapping qui est devenu notre sport national. Ce peuple qui est livré à lui-même. Pour ces gens qui n'arrêtent pas de demander pourquoi je fais autant la lecture, je lis pour échapper à tout ça. Je lis pour être libre. Je lis pour avoir plusieurs vies. Je lis pour m’enivrer, je lis pour ne pas me suicider comme Edmond Laforest, je lis pour me sentir mal, je lis pour sortir des ténèbres, je lis pour m'échapper de ce précipice, je lis pour n'avoir pas de compte à rendre à personne et je lis parce que depuis qu'elle est partie, il n'y a que la lecture qui arrive à bercer mon âme. Fernando Pessoa a dit : « La littérature existe, parce que la vie ne suffit pas ». Alors moi, je lis parce que ma vie ne me suffit pas.

J'ai cette manie de me rappeler de tout : du premier livre que j'ai lu (la prochaine fois, le feu, James Baldwin), de mon premier amour, de mon premier baiser, de mon premier article, le premier tableau de Basquiat que j'ai vu, ce roman que j'écris et que tout le monde attend... mais on dirait que je ne le terminerai jamais. Hier, j'ai entendu à la radio, un étudiant Tchadensky a reçu une balle perdue et est mort à l'hôpital. Mais ça fait un bail que les choses vont de mal en pis.

Depuis l’indépendance, ce pays n'a pas connu un moment de répit, on va de crise en crise, mais Ecclésiaste nous dit : « Un temps pour chaque chose ». Un temps pour le chaos et un temps pour la paix. Alors, nous devons être confiants et sereins car le changement est sur le seuil de notre porte.

Auteur: Marco Saintima